samedi 22 mai 2010

LE FRERE MARIE VICTORIN ET L'ENSEIGNEMENT


Développer une expertise scientifique (le devoir)

Le 30 septembre 1922, alors qu'il vient tout juste d'être promu professeur titulaire à la Faculté des sciences de l'Université de Montréal, créée deux ans plus tôt, Marie-Victorin souligne l'importance de développer une expertise scientifique si l'on veut sortir le peuple canadien-français de son statut de colonisé. À la une du Devoir, il écrit: «Un peuple vaut non seulement par son développement économique, industriel ou commercial, mais encore et surtout par son élite de penseurs, de chercheurs et de savants, par son apport au capital scientifique de l'humanité.» Grâce à la nouvelle Faculté des sciences, «nous allons enfin travailler à nous évader graduellement de ce colonialisme du savoir, un peu humiliant, en somme au degré où nous le subissons, [et marcher] ferme vers une émancipation intellectuelle de bon aloi», s'enthousiasme-t-il.

Au retour de ses multiples excursions botaniques sur la Côte-Nord, aux îles Mingan et en Gaspésie, un Marie-Victorin révolté dénonce, dans l'édition du 25 septembre 1925, l'état d'indigence et de servitude dans lequel se trouvent nombre de ses compatriotes, et apostrophe au passage les notables qui méconnaissent leur pays car ils ont «pris l'habitude de passer l'été à Paris et l'hiver chez nous». L'auteur voit dans le développement scientifique et l'éducation supérieure le salut de la nation. «Nous ne serons une véritable nation que lorsque nous cesserons d'être à la merci des capitaux étrangers, des experts étrangers, des intellectuels étrangers: qu'à l'heure où nous serons maîtres par la connaissance d'abord, par la possession physique ensuite, des ressources de notre sol, de sa faune et de sa flore. Pour cela, il nous faut un plus grand nombre de physiciens et de chimistes, de biologistes et de géologues compétents.»

Faible intérêt pour la science

Marie-Victorin souhaite ardemment que les décideurs encouragent les jeunes à embrasser des carrières scientifiques, car «c'est cette élite scientifique qui, en nous donnant, dans un avenir que nous voulons rapproché, la libération économique, fera de nous une véritable nation», écrit-il.

Les 13 et 15 novembre 1926, il déplore encore une fois le manque d'intérêt des Canadiens français pour la science. Il s'évertue également à élever celle-ci au même niveau de reconnaissance que la philosophie et la littérature, les deux disciplines qui dominent la culture classique de l'époque. «Une culture de l'esprit qui reste exclusivement littéraire, tout aussi bien qu'une culture exclusivement scientifique, ne peut décemment s'appeler culture générale», fait-il valoir, tout en affirmant ne vouloir «en aucune manière favoriser l'affreux divorce des études scientifiques d'avec les disciplines littéraires et historiques [...] Non! La science ne renie pas la discipline philosophique qui fut sa mère: elle lui demeure, au contraire, indissolublement associée dans ses progrès les plus certains.»

Avec des exemples concrets à l'appui, Marie-Victorin s'insurge aussi contre les maigres salaires accordés aux scientifiques et aux enseignants: «Ne parlons pas des salaires des professeurs de l'enseignement secondaire, salaires inexistants, ni de ceux des professeurs de l'enseignement supérieur qui, le plus souvent, n'atteignent pas ceux des maîtres-charpentiers et des chauffeurs de taxi. [...] Étonnons-nous après cela que nos jeunes gens, même à 20 ans où la volonté est riche et le sang généreux, hésitent devant le seuil austère des carrières scientifiques! Après de longues années de préparation et d'effort, ils n'ont que la perspective de végéter leur vie durant, à maigre salaire...»

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