lundi 24 mai 2010

LES ENFANTS APPRENNENT MIEUX GRACE AUX PAIRS


Il semble que les enfants apprennent mieux d’autres enfants que des adultes et que ce serait particulièrement le cas lorsqu’il y a une différence d’âge entre ces derniers.1 Lilian Katz a remarqué qu’ils peuvent adapter leur vocabulaire à l’âge de leur interlocuteur.2 La conviction de l’existence d’un lien entre l’apprentissage et l’interaction sociale a amené le théoricien Lev Vigotsky à développer le concept de «zone proximale de développement» qui permet à un enfant d’apprendre plus facilement d’un pair plus âgé.3 Cette zone est définie comme la distance entre le niveau de développement réel de l’enfant et son niveau de développement potentiel, lorsqu’il est assisté par un tiers.4 Le niveau de développement actuel de l’enfant se mesurerait par sa capacité à résoudre des problèmes en situation indépendante. 5 Le développement potentiel serait, lui, déterminé par la capacité de départ à laquelle s’ajoute le soutien d'un adulte ou la collaboration de pairs plus compétents. Jerome Bruner et H. Haste ont pour leur part observé que le processus de construction de la connaissance avec autrui ne se fait par l’isolement mais plutôt dans un contexte social.6

Le fait d’être en groupe multiâge exposerait davantage les enfants à une variété de relations avec les autres en raison de leurs différents niveaux de développement.7 Le multiâge fournirait ainsi une gamme plus large d'expériences interactives et de contacts qu'un groupement d’âge gradué.

La différence de perspective dans les points de vue des enfants est nécessaire au développement

Les partisans de Jean Piaget soutiennent que le conflit cognitif, une différence de perspective dans la discussion et les avis des enfants, est nécessaire au développement. Dans leur tentative d’essayer de résoudre les conflits sociaux, les enfants devraient échanger leurs points de vue pour qu’au cours de l'explication, cela puisse amener l'enfant moins avancé à une plus grande compréhension. Cependant, il semble que la résolution de problèmes coopératifs soit plutôt caractérisée par des effets indirects. Pour progresser, les «tout-petits» doivent pouvoir découvrir si vraiment leurs avis sont corrects et ce, indépendamment du niveau plus ou moins avancé du raisonnement de départ de leur associé.8

D’après Jo Hoffman, la théorie de Piaget suggère que l'apprentissage et le développement conceptuel auraient plus de chances de réussir dans des contextes où il y a partage de pouvoir et d'influence.9

Les enfants apprennent de leurs pairs plus âgés

La croissance cognitive de l’enfant par l'interaction sociale se produirait souvent par «échafaudage». Les enfants plus âgés permettraient aux plus jeunes d'atteindre un plus haut niveau de pensée, en leur apprenant des méthodes plus sophistiquées, par la résolution de problème et l'écriture.10 De plus, il semble qu’à de nombreuses occasions, les enfants, à n'importe quelle phase particulière de développement, fonctionnent à des niveaux conceptuels développementaux différents.11 Concernant l’apprentissage dit en «échafaudage», il est souvent utilisé en contexte multiâge et Judith Bernhard en donne une explication: «Une inférence plausible provenant d'une telle approche est que les regroupements d'âges multiples peuvent faciliter un tel apprentissage»12.

Apprendre par l’observation est une méthode que Bandura a clairement présenté dans sa théorie de l'apprentissage socio-cognitif. L’apprentissage par la modélisation concernerait des comportements, des attitudes et des réactions émotionnelles13. Si les enfants acquièrent souvent des comportements, simplement en observant et en imitant ensuite des modèles sociaux, ils poursuivraient cependant souvent leurs propres intérêts, n'essayant pas consciemment de tout apprendre et s'imitant sans exiger de tutorat direct. Le groupement des enfants en multiâge augmente leurs occasions d’apprendre par l'observation14 et Lilian Katz ajoute que la modélisation serait un processus plus naturel dans des groupements d’enfants en multiâge, en raison de l’écart d'âge.15

Les éducatrices qui travaillent en contexte multiâge conçoivent l’apprentissage comme un processus actif. C’est à partir de ce processus que Jerome Bruner a conçu une théorie pour qui les apprenants construisent de nouvelles idées ou des concepts sur la base de leurs connaissances actuelles. L’intervenante devrait donc organiser l’information en «spirale», pour que l’enfant construise continuellement sur des acquis antérieurs afin d'y greffer progressivement de nouvelles informations de plus en plus élaborées.16 Ces acquis proviendraient du vécu de l’enfant et la manière de favoriser leurs acquisitions aurait de l’importance. «Vous ne pouvez pas simplement imposer des outils aux gens, ils doivent être adaptés et construits autour des expériences»17. Par ailleurs, ces outils devraient référer aux expériences des enfants et à leurs émotions.18

Les enfants plus âgés profitent également du tutorat

D’après Marianne Hardy et Christiane Royon, l’interaction génère «un temps d’élucidation», c’est à dire une construction pour soi, en même temps qu’une explication pour autrui. Ce processus engendre à son tour des interactions qui permettent la reconstruction des savoirs par le plus âgé.19 La modélisation est bien connue pour profiter aux plus jeunes enfants mais Lilian Katz explique que les comportements sociaux impliquent également les plus âgés. Leur comportement autorégulateur s'améliorerait en devant rappeler les règles aux plus jeunes.20 L'interaction des pairs en contexte multiâge est vu par Willard Hartup comme contribuant au développement sociocognitif et du langage de l'enfant plus jeune, tout en augmentant les capacités instructives de l'enfant plus âgé.21


1 La traduction libre de l’anglais, des auteurs de ce texte, est de J-M Lopez.

Cette observation serait également valable chez les primates dont les comportements sociaux sont très proches des nôtres. Joly (1985) note que l’étude des sociétés de primates révèle que la presque totalité de leurs 193 espèces est caractérisées par une diversité dans l’âge. Et à l’échelle de l’évolution des primates, plus le jeu de ces derniers reflète une diversité dans l’âge et plus l’espèce se classerait haut dans l’évolution.

2 Katz, G, L. (1991). Readiness: Children and Schools

3 Montes, F. (1996). A Synergistic Multi-age Model for Minority Students, IDRA Newsletter. Avril

4 Evangelou, D. (2002). Mixed-Age Groups in Early Childhood Education

5 Velz, E. (2002). Éléments de guidance psycho-pédagogique 2

6 Bruner, J. et Haste, H. (1987). Making sense: the child's construction of the world. London ; Methuen, New York: Bruner-Haste.

7 Shreeve, K, et Lowry, V. (2001). Planning and Implementing Multi Aged Groups. Denver: Community Development Institute.

8 Tudge, J. et Caruso, D. (1989). Cooperative Problem-Solving in the Classroom. ED310881.

9 Hoffman, J. (2002), citant Lisi et Golbeck (1999), Flexible grouping strategies in the multiage classroom.

10 Williams, L. (2001). Social Learning Theory , Multiage Classroom.

11 Zevenberger, R. (2000). Multiage mathematics: planning for effective learning, Journal of the Multiage Association of Queensland. Free to Learn, n° 2, pp 4-5.

12 Bernhard, J. et coll. (1999). Les poupons et les jeunes enfants dans les garderies pour âges multiples. Développement des Ressources humaines Canada. Toronto: Child Care Visions et Université Ryerson, p 1.

13 Kearsley, G. (1994). Social Learning Theory (A. Bandura)

14 Op.Cit. Shreeve, K, et Lowry, V. (2001).

15 Katz, L.G. (1995). The Benefits of Mixed-Age Grouping. ED382411

16 Patsula, P. (1999). Applying Learning Theories to Online Instructional Design. Séoul: Sookmyung Women's University.

17 Jensen, S. (2003). In Brain Research and Learning Sciences «Emotions and learning» planning symposium, 13. Centre for Educational Research and Innovation, Organisation for Economic Co-operation and Development. Psychiatric Hospital, Université de Ulm, Allemagne, p 13.

18 Tomlinson, C. A. (2003). La classe différenciée. Traduit de l’Américain par Bernard Théorêt, Montréal: Chenelière/McGraw-Hill.

19 Hardy, M. et Royon, C. (1991). Les écoles expérimentales ont 20 ans. Un pari hier, un enjeu aujourd'hui. Leurs contributions à la promotion collective. Hétérogénéité et parité. Les Actes de Lecture, INRP – CRESAS, la revue de l'AFL.

20 Op.Cit. Katz, L.G. (1995).

21 Hartup W. (1983). Peer Relations. Handbook of Child Psychology: Vol 4. Socialization, Personality, and Social Development, p 103-196. New York: Wiley.

Pour en connaître davantage sur l'Association québécoise pour le multiâge.



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